Ailefroide, c’est ce hameau niché au cœur des Écrins, surplombé par de hautes murailles de granit qui font les joies et les peurs des alpinistes. Jean-Marc Rochette fait partie de ceux-là, et toute sa jeunesse il a convoité la face nord qui culmine à 3 954 mètres d’altitude au-dessus de la vallée. Si la vie l’a finalement détourné de cette voie, Ailefroide l’a tant marqué que le peintre, auteur, illustrateur – et donc passionné d’alpinisme – a décidé d’en donner le nom à son autobiographie.
L’adolescent des cimes
Gamin, l’auteur vit à Grenoble et passe des heures enfermé dans les musées à contempler des tableaux. Forcé par sa mère à s’extraire de ses contemplations et à prendre l’air, le rêveur découvre la montagne, et avec elle, un immense terrain de jeu. C’est le coup de foudre. La beauté est partout, dans les toiles de Soutine comme dans les paysages alpins.
À l’adolescence, un ami l’initie à l’escalade, et au contact de cette paroi qui pourtant lui râpe les doigts, une passion naît : celle de la grimpe. La Dibona, le pilier Frendo, le Coup de Sabre… autant de projets plus stimulants que les cours à Champollion. Le jeune Rochette aspire à une autre existence que celle d’un bachelier enfermé dans l’enceinte de son lycée : il veut devenir guide, arpenter les cimes. Alors, pour rejoindre ces terres d’aventures et donner vie à ses rêves, l’adolescent, un brin contestataire, tire des rappels. De l’internat à la Bérarde – ce haut lieu de l’alpinisme –, il n’y a qu’un mur. Et ce n’est pas ça qui va l’arrêter.
L’adulte dessine
Au fil de ses multiples ascensions, Rochette connaît quelques frayeurs, il pleure même des compagnons de cordées trop vite fauchés dans ces couloirs glacés ; mais il s’accroche, s’encorde, s’arrime au dessein qu’il a formé et laisse la montagne le façonner tout entier. Pourtant, un grave accident manque de lui coûter la vie et met un terme à ses ambitions.
Que faire alors ? Jean-Marc Rochette traverse l’Atlantique pour gagner les États-Unis, et dans ce pays de la démesure, il réalise que sa voie n’est pas celle tracée dans le caillou. Un autre chemin se dessine pour lui, une autre forme d’expression personnelle aussi ; elle sera toujours du bout des doigts, mais avec un pinceau plutôt qu’un piolet.
Une autobiographie vivifiante
L’autobiographie de Jean-Marc Rochette est un peu différente de celles que j’ai l’habitude de lire. Différente par sa forme avant tout, puisqu’il s’agit d’une bande dessinée – un genre qui ne m’est pas familier – et que l’auteur ne nous raconte pas son histoire seulement avec ses mots, mais aussi avec son pinceau. Et le trait en dit long. Les couleurs sont tranchantes, profondes ; les croquis sont bruts, sans fioritures, comme la narration d’ailleurs. C’est ce qui fait l’autre particularité de cette autobiographie écrite avec autant de sensibilité que de pudeur : il n’est question ni de lyrisme ni de prose philosophique, mais d’un récit conduit comme un reportage où l’on comprend, dans le creux des dialogues, les émotions, réflexions et transformations par lesquelles passe l’auteur.
Finalement, dans ce récit initiatique, la plume nous convie dans ce qui ne se dit pas, mais s’éprouve : Jean-Marc Rochette croque la vie.
« Je ne sais pas combien de temps j’ai mis à monter au sommet, mais j’y suis arrivé… Avant le soleil. Et j’ai pris feu. Seul face à la naissance du monde. »