S’adapter, Clara Dupont-Monod

"Il se sentait à part. Il enviait ses camarades de classe insensibles à la pitié, à la beauté. Pourquoi aucun ne réagissait au vol d’un rapace, à l’évocation des rois chevaliers, au sourire de la dame de la cantine ? Se pouvait-il que les mouvements du monde ne fassent aucun bruit, ne rencontrent aucun écho ?"

Dans cette histoire, la plume de Clara Dupont Monod sert l’intelligence et la sensibilité. Dans ce conte, il est question d’un bébé aux yeux noirs et flottants, aux joues veloutées et rebondies, aux jambes translucides et veinées de bleu. Un enfant qui ne babille pas, ne voit pas, ne se meut pas. Un petit garçon sans geste, sans regard, sans parole, un être inadapté, recroquevillé dans un monde qui n’appartient qu’à lui, et dont la naissance a bouleversé l’équilibre familial.

Des pierres pour narratrices

Le récit s’ancre dans le décor des montagnes cévenoles, là où la vie est rustique et où les pierres tiennent lieu de mémoire. Ce sont elles qui racontent l’aîné et son épaule protectrice, la cadette et son silence révolté. Depuis le muret de la cour ou le lit de la rivière, elles regardent les visages se transformer, les places s’ajuster, les liens se réinventer. Invisibles et pourtant omniprésentes, elles témoignent des luttes qui se jouent intérieurement pour s’adapter.  

De l’ambivalence pour sujet

Dans ce roman, l’autrice arpente l’ambivalence des pensées et des attitudes face à un corps lourdement handicapé. Clara Dupont Monod prête sa plume aux enfants. A travers eux, elle écrit le dévouement, la douceur, la bonté, mais aussi l’usure, le dégoût, la honte, la jalousie, la culpabilité. Elle dit la famille qui s’émiette, les regards de pitié, le désir d’exister, les sentiments mêlés. Elle crie l’injustice, pleure l’indifférence, croque l’indignation, l’amour, la dignité. Elle esquisse la complexité.

Une plume avisée pour écrire la vie

Évoquer la différence et la résilience peut faire craindre le pathos, mais Clara Dupont Monod évite l’écueil des bons sentiments et des grandes leçons. D’un style enlevé, elle écrit simplement la vie sans fard, dans toute sa gravité, ses anomalies et sa banalité. Et c’est cette justesse défaite de toute grandiloquence qui confère à cette histoire toute sa puissance.

« L’enfant ne pouvait ni voir ni saisir ni parler, mais il pouvait entendre. Par conséquent, l’aîné modula sa voix. Il lui chuchotait les nuances de vert que le paysage déployait sous ses yeux, le vert amande, le vif, le bronze, le tendre, le scintillant, le strié de jaune, le mat. Il froissait des branches de verveine séchée contre son oreille. C’était un bruit cisaillant qu’il contrebalançait par le clapotis d’une bassine d’eau. Parfois il nous déchaussait du mur de la cour pour nous lâcher de quelques centimètres afin que l’enfant perçoive l’impact sourd d’une pierre sur le sol. […] “C’est ton pays, disait-il, il faut que tu l’écoutes.” »