A la verticale de soi, Stéphanie Bodet

"Au fil d’une ultime arête, le sommet du mont Aiguille est là. Et avec lui, le sentiment que l’escalade se poursuit. Aux mouvements du corps succèdent ceux, plus subtils, de l’âme. L’élévation physique trouve son sens et culmine dans la beauté du paysage." 

Dans ce remarquable récit biographique, la grimpeuse de haut niveau Stéphanie Bodet, un temps professeure de lettres, manie les mots comme elle pose ses coinceurs dans les à-pics : avec précision, finesse, et toujours ce brin de poésie qui adoucit les dièdres techniques et transcende le rocher. Plus que la conquête des cimes ou la gloire des sommets, Stéphanie Bodet raconte sa quête intérieure et explore, en même temps que les parois, le sens de la vie.

L’escalade, une école de vie

La petite fille asthmatique, qu’on poussait au supplice durant les cours de gym et qui s’asphyxiait lors des cross de l’école, vagabonde depuis plus de vingt ans à la verticale. La marche, puis l’escalade, l’ont fortifiée, élevée, et du bout des doigts, elle s’est hissée jusqu’à la plus haute marche du podium lors des championnats du monde. De la confrontation avec les autres, dans laquelle elle voit d’abord une confrontation avec soi-même, elle ne regrette rien, même si désormais elle a tourné la page de la compétition. Et si l’essentiel logeait ailleurs que dans le goût éculé du dépassement de soi ? Qu’apprend-on du caillou, de l’écorce des pierres et de ce qui nous entoure ?

Depuis ses bivouacs glacials sous les étoiles, l’aventurière regarde sa vie de haut. Elle s’émerveille de cette corde tendue qui relie deux êtres, des amitiés vraies, de la puissance de l’amour, de ce temps qui se dilate au contact du rocher, de la beauté des fleurs qui s’échappent des fissures, du silence habité des hauteurs. Sous sa plume, les montagnes deviennent ce lieu sacré propice à l’introspection. D’un côté, la grimpeuse s’élève jusqu’au faîte des falaises, profitant des failles du granit, du grès ou du calcaire pour trouver ses appuis ; de l’autre, l’écrivaine plonge dans ses profondeurs et arpente ses propres fragilités à la recherche d’équilibre. Dans cette verticalité, il est question de vulnérabilité, d’harmonie, d’art de vivre.

Un récit à la fois léger et inspirant

L’esprit et les sens aux aguets, Stéphanie Bodet contemple la nature, interroge son chemin, livre ses doutes, et partage ses petites et grandes (més)aventures non sans un brin d’humour. Son verbe émeut, sa prose inspire. Entre ascensions épiques et méditations philosophiques, l’écrivaine cultive le goût du minuscule, sème ses pensées, moissonne les fruits de ses pérégrinations intérieures, et pour finir, elle nous cueille au détour d’un poème ou d’un mot savoureux.

« Ce qui fait la différence entre une nuit en camping et un bivouac improvisé, c’est d’abord l’absence de choix. Puis le passage par trois états d’âme bien distincts. Premier temps, sentiment d’exaltation face à sa propre nudité et à l’infini du ciel étoilé… Deuxième temps, méditation stoïcienne : la sagesse consiste à ne pas s’affliger de ce qui ne dépend pas de soi. Troisième temps, irrésistible envie de jeter Epictète par-dessus bord et d’appuyer sur un bouton pour se retrouver propulsé instantanément dans ses pénates… »